Fin novembre, à chaque année depuis des années, se déroule un événement d’énorme influence en Bourgogne : La vente aux enchères des hospices de Beaune. Cet événement fascinant est très important pour la communauté viticole de la région bourguignonne. J’ai eu la chance de m’entretenir avec un acheteur qui a été actif durant ces enchères depuis bientôt dix ans. Donc, pour cette chronique, je vous invite à découvrir la région, les hospices et les amateurs de vins derrière cet événement.
La région bourguignonne
Premièrement, cette histoire se passe en Bourgogne. Plus précisément en Côte d’or, au coeur du vignoble de Bourgogne. Cette région est très connue et reconnue pour le niveau exceptionnel de ses terroirs, de ses climats, des grands et premiers crus.
Le pinot noir et le chardonnay y règnent en maîtres. De très grands vins s’y font, notamment les appellations Gevrey-Chambertin, Clos Vougeot, Meursault, Puligny-Montrachet et bien plus encore.
Les hospices de Beaune
Pour bien le comprendre, on doit retourner un peu dans l’histoire.
Au milieu du 15ième siècle est fondé à Beaune, un hôpital ayant comme mission d’aider et d’offrir des services aux plus démunis de la région. Au fil des années, et des siècles, cet hospice bienveillant aidera énormément de citoyens bourguignons, les riches comme les pauvres.
Rapidement, de riches propriétaires des environs vont léguer à leur mort une partie de leurs biens: propriétés viticoles, forêts…). Ainsi, au fil des ans, les hospices de Beaunes hériteront de plus de 60 hectares de terres viticoles, la plupart des ceps cultivés sur des parcelles d’appellations prestigieuses de premiers et grands crus.
Les vins sont faits à la cuverie des hospices et vendus lors de la vente aux enchères au profit des de l’hôpital et d’associations caritatives. Les fonds récoltés lors de la vente sont destinés aux œuvres de charité des hospices de Beaune et permettent l’amélioration des équipements de soins, la modernisation des infrastructures ainsi que la conservation des monuments historiques, dont l’Hôtel-Dieu de Beaune.
Vente de Charité
Les premières ventes aux enchères se déroulent sous les chandelles, celles-ci servant de calcul de temps pour chaque pièce à vendre. Lorsque la bougie se terminait, le plus haut enchérisseur gagnait la pièce.
Au cours des années, les procédures de la vente aux enchères se sont ajustées et transformées. Depuis 2005, lors de la 145ième vente aux enchères, les hospices de Beaune se sont tournées vers la société de vente aux enchères Christie’s pour organiser leur événement.
La vente est plus largement ouverte aux particuliers qui peuvent, seuls ou entre amis, enchérir directement pendant les enchères pour acquérir une ou plusieurs pièces de vin des hospices de Beaune.
Les enchères 2014
La récolte 2014 permettra aux Hospices de proposer à la vente cette année 117 pièces de vin blanc et 417 pièces de vin rouge. Ces 534 pièces sont réparties en 47 Cuvées – 33 de vin rouge et 14 de vin blanc, soigneusement élaborées par les Hospices.
Les cuvées sont vendues à la pièce : c’est à dire en barrique de 228 litres. Donc, on n’achète pas directement des bouteilles ou des caisses aux enchères. Ce sont d’énormes tonneaux remplis de vins qui sont mis en vente; ces vins viennent tout juste de terminer leur vinification, et une période d’élevage est nécessaire pour les prochains 18 mois.
En d’autres mots: si vous et moi réussissons à acheter une de ces pièces, nous devrions trouver un maître de chai bourguignon pour prendre bien soin de notre vin pour les prochains mois, avant la mise en bouteille.
2014, une année record
Voici un résumé des résultats de la vente aux enchères depuis que Christie’s s’occupe de l’organisation.
| Année | Prix moyen de la pièce | Pièces | Produit total |
| 2005 | 4 757 € | 798 | 3 796 230 € |
| 2006 | 5 508 € | 688 | 3 789 646 € |
| 2007 | 6 950 € | 618 | 4 295 396 € |
| 2008 | 5 122 € | 553 | 2 832 272 € |
| 2009 | 6 189 € | 808 | 5 000 968 € |
| 2010 | 6 876 € | 642 | 4 414 260€ |
| 2011 | 6 421 € | 770 | 4 943 852 € |
| 2012 | 10 073 € | 518 | 5 217 740 € |
| 2013 | 12 753 € | 448 | 5 713 195 € |
| 2014 | 13 750 € | 534 | 7 348 154 € |
Notes à propos de ces résultats:
– Le nombre de pièces varie d’années en années. Ce sont toujours le même nombre de parcelles qui produisent le vin en vente, toutefois, les saisons varient et la quantité également. Les aléas de dame nature influence beaucoup la quantité de vins produits, les vignerons tentent de garder une qualité similaire d’années en années.
– En moins de 10 ans, le prix moyen par pièce a presque tripler. Chaque pièce produit environ 300 bouteilles de vin. Donc, la moyenne par bouteille est passée de 15 à environ 45 euros la bouteille. Les vins de bourgogne sont de plus en plus prisés par les amateurs de vins!
– 2014 a été une année record, pas en quantité mais en valeur par pièce et en revenus total
Le montant total des enchères a bondi de 28% par rapport à 2013, a annoncé la maison de ventes Christie’s.
Les vins blancs : +14.57% (comparé à 2013)
Les vins rouges : +3.37% (comparé à 2013)
Prix moyen pour une pièce : 13.750 euros, +5.66%
Les acheteurs aux enchères
Dimanche le 16 novembre dernier, je me suis connecté sur le site web de Christies pour suivre en détail la vente des 534 pièces disponibles aux enchères. J’étais déjà un amateur en général des ventes aux enchères, mais cet événement est particulièrement intéressant pour tout amateur de vin. On peut y découvrir des pièces qui ont un énorme intérêt et des prix qui montent à des niveaux quasiment stratosphériques. Les enchères se sont envolées pour un lot de Clos-de-la-roche grand cru, qui a atteint 74.900 euros.
La pièce de charité, un tonneau de 228 litres de Corton-Bressandes grand cru, a été adjugée pour 220.000 euros à Albert Bichot et six acheteurs québécois. Une somme importante qui cependant pas le record de 2010, d’un tonneau de 500 litres pour un Beaune 1er cru, de la cuvée Nicolas Rolin, adjugé à 400.000 euros.
Le bénéfice de la vente de la cuvée, cette année, est reversé à deux associations: Toutes à l’école, qui finance la scolarisation de jeunes filles au Cambodge, et la Fondation Imagine, en faveur de la recherche sur les maladies génétiques. Le reste de la vente revient à l’institution hospitalière des Hospices, qui finance la modernisation de l’hôpital de la ville et l’entretien du bâtiment historique de l’Hôtel-Dieu.
Du point de vue d’un acheteur
J’ai suivi la vente par streaming sur le site de Christies et également sur Twitter. Certains journalistes de la région twittaient leurs impressions sur l’achat de quelques pièces. J’ai également observé certains tweets qui semblaient être écrits par d’heureux acquéreurs de pièces présents sur place.
Ces tweets ont attiré mon attention et j’ai commencé à être plus alertes aux tweets de ce compte : @animavinum. Quelques autres tweets durant l’enchère du même type ont été publiés. Cet acheteur était plutôt actif durant les enchères.
J’étais curieux de savoir quels sont ces acheteurs durant les enchères de Beaune. Qui, comment, pourquoi ils étaient des enchérisseurs durant cet événement important en Bourgogne. J’étais curieux de connaître l’envers du décor, de connaître la réalité de ces clients.
Ce compte Twitter avait un site web (http://www.animavinum.fr) et j’ai tenté ma chance en les contactant par le formulaire de leur site web. Suivra une très belle rencontre virtuelle par Skype dans les jours suivant les enchères de Beaune.
Anima Vinum : L’Escargot Vigneron
Rendez-vous est donné: un matin (heure de Montréal) de semaine, par Skype. J’ai eu la chance de discuter avec Jean-François Vandroux, gérant associé avec Pierre Grimaldi, d’Anima Vinum qui a été d’une générosité sans retenue. J’ai pu poser toute les questions possibles sur l’avant, le pendant et l’après enchères de Beaune. Cinquante minutes où l’on découvre l’envers du décor des enchères mais surtout, une entreprise ayant pour mission de faire découvrir et valoriser les artisans locaux du vins fins de terroir rares et uniques, les petits créateurs de merveilles viticoles, ceux qui œuvrent avec talent et passion sous l’ombrage des géants bourguignons. Anima Vinum sélectionne des vins qui doivent très peu à l’œnologie et tout à la vigne, à la patience et au respect du travail de la nature. De plus, aucune contrainte ne pèse sur Anima Vinum, qui goûte et choisit chaque année les nouvelles cuvées en toute indépendance.
À travers mes questions techniques sur les détails des enchères, je découvrais un négociant ayant une mission sociale : valoriser les vins de terroir et les vignerons récoltants tout en démocratisant le vin, en y ajoutant le côté humain qui manque trop souvent aux drabes bouteilles achetées chez le détaillant.
Anima Vinum suit un principe fondamental de mettre en évidence le vigneron derrière les vins qu’ils représentent en y joignant une fiche informative du vigneron, de sa culture, des détails de la vinification. En y ajoutant un visage humain, un rappel que le vin, à sa base, est fait par des être qui ont une passion, une envie intrinsèque de créer le meilleur vin que leur terroir peut produire.
Après de quinze ans d’activités commerciales, près de dix ans de participation aux enchères de Beaune, Anima Vinum fait partie du moteur économique essentiel pour les vignerons bourguignons. Ils sont les porte-voix de ces vignerons artisans qui ont juste assez de temps et d’efforts pour créer de bons vins, mais pas assez aller pour les faire découvrir au restant de la planète.
Les enchères des Hospices de Beaune ne représente que 5% de l’activité commerciale totale annuelle pour Anima Vinum. Les deux amis et gérants parcourent la Bourgogne, achètent, revendent et représentent avec fierté plusieurs dizaines de vignerons de la région. Ils ont des acheteurs en Europe et même au Brésil.
À la fin de l’entretien, moi de demander avidement: « Vous vendez au Québec par l’entremise de la SAQ? » (Allez! Répondez OUI par Toutatis!)
La réponse est malheureusement NON. Enfin, NON pour le moment…
Je vous laisse sur un petit montage que j’ai fait du long entretien téléphonique avec Jean-François de Anima Vinum. Vous comprendrez que j’ai dû sélectionner seulement quelques éléments de l’entretien pour garder le tout sous les 4 minutes.
Une incursion dans la réalité d’un acheteur aux enchères de Beaune. On y apprend un peu l’avant, le pendant et l’après enchères.
